Débarquement de Provence et Libération de Marseille

15-28 août 1944

L’épopée du  2ème Cuirassiers

Source : www.chars-français.net 

Insigne_2e_Cuirs

Cet article provient du site http://www.chars-francais.net/ et décrit les combats de Marseille avec la 3ème Division d’Infanterie algérienne du général de Monsabert à partir du Journal de Marche et des Opérations du 2ème Régiment de Cuirrasiers, lequel constituait le “gros” du Combat Command n°1 de la 1ère Division Blindée, unité binômée avec la 3ème DIA pour ces combats.

Contexte :

Le 15 août 1944 a lieu le débarquement en Provence. À cette occasion, l’occupant se retranche dans ses bunkers, se terre mais continue de se battre contre la résistance et fait sauter les installations portuaires : plus de 200 navires sont coulés et le célèbre pont transbordeur de Marseille détruit.
Le 19 août 1944, le général de Lattre de Tassigny reçoit l’ordre du général Patch, commandant la 7ème armée américaine, de prendre Toulon et Marseille. Deux groupements sont constitués afin d’attaquer les deux ports simultanément :

    • premier groupement aux ordres du général de Larminat, commandant le 2ème corps d’armée, chargé d’attaquer Toulon : 52 000 hommes principalement de la 1ère division de marche d’infanterie (1ère DMI) et de la 9ème division d’infanterie coloniale 9ème DIC).
    • second groupement, aux ordres du général de Goislard de Monsabert, chargé d’attaquer Marseille : 12 000 hommes, essentiellement de la 3ème division d’infanterie algérienne (3ème DIA), des groupements de tabors marocains (GTM) et du CC1 (Combat Command 1) de la 1ère division blindée (1ère DB).

Le débarquement de Provence et la prise de Marseille

Veillée d’armes (Septembre 1943 – Août 1944)

Combien fut longue cette veillée d’armes ! Les jours s’enchaînant aux jours forgèrent d’interminables mois… Les rigueurs de l’hiver suivirent les pluies d’automne, puis, apparût de nouveau l’ardent soleil africain ; les chars se recouvrirent à nouveau de poussière, la nature haleta sous le souffle brûlant du sirocco…

Une année presque passa, une année illuminée par des heures d’espoir, chèrement payées aussitôt par de longs jours de désespérance.
Ce fut pourtant une année de travail intensif : l’outil déjà au point reçut le suprême poli.

Qu’elles paraissaient mesquines cependant ces attaques spectaculaires dans la plaine de Relizane au cuirassier jaloux des lauriers cueillis par ses camarades d’infanterie, dans les montagnes d’Italie !
Il bouillait d’impatience, sachant combien ardemment il était attendu de l’autre côté de la mer, en France.

Quelle tâche ardue pour les officiers que de calmer l’énervement généreux de la troupe !

Ne grognaient-ils pas aussi fort lorsqu’ils se trouvaient à l’abri des oreilles indiscrètes ? N’étaient-ils pas en lutte permanente contre le découragement dont ils se sentaient gagnés ? Il leur fallait pourtant composer un visage optimiste et souriant, trouver, chaque jour, des raisons nouvelles pour expliquer pourquoi se trouvait encore remis l’embarquement tant attendu…

C’est au cours d’une grande manœuvre dans la région d’Uzès-le-Duc, en présence de Monsieur Diethelm, Ministre de la Guerre, du général Patch, commandant la VIIème Armée Américaine et du général de Lattre de Tassigny, que le 2ème Cuirassiers apprit la sensationnelle nouvelle du débarquement du 6 juin.

Enorme déception certes, de ne pas avoir eu l’honneur d’appartenir aux élus qui mirent les premiers les pieds, sur le sol Français, mais aussi, immense joie… Joie de savoir déjà libres quelques arpents de notre sol, joie d’avoir désormais la certitude de participer à la lutte sacrée….

Le régiment allait se porter en effet, dès le 8 Juin, dans les environs d’Oran, pour s’installer aux “areas“, cette zone d’attente des troupes destinées à être embarquées.

Il allait enfin voir se réaliser son rêve.

ORDRE DE BATAILLE DU 2ème CUIRASSIERS AU JOUR DE L’EMBARQUEMENT

CHEF DE CORPS : Lieutenant-colonel Durosoy

ETAT-MAJOR :

Commandant en second : chef d’escadrons de Laprade

ESCADRON HORS-RANG
Capitaine Commandant : capitaine de Laforcade
Officier de détails : sous-lieutenant Flamand
Officier d’approvisionnement : lieutenant Guerin
Officier d’échelon : lieutenant Berard
Officier d’essence : lieutenant Cambriels
Service de santé : médecin-lieutenant Deloupy, médecin auxiliaire Barrot

1er ESCADRON
Capitaine commandant : capitaine du Boispean
Officier d’échelon : lieutenant Henriot
Chefs de peloton : sous-lieutenant Gouailhardou, sous-lieutenant Martin, adjudant-chef Zeisser

2ème ESCADRON
Capitaine commandant : capitaine Fougere
Officier d’échelon : lieutenant Monier
Chefs de peloton : lieutenant Laporte, sous-lieutenant Moine, sous-lieutenant Cattaneo, aspirant Bourlon

3ème ESCADRON
Capitaine commandant : capitaine de Boisredon
Officier d’échelon : lieutenant Butruille
Chefs de peloton : lieutenant Avenati, sous-lieutenant Mousnier, adjudant-chef Mouty, aspirant Duwez

4ème ESCADRON
Capitaine commandant : capitaine Ardisson
Officier d’échelon : lieutenant de Tinguy du Pouet
Chefs de peloton : lieutenant d’Annam, sous-lieutenant Giraud, sous-lieutenant Gérard, aspirant Virot

  •  

En Mer (10-15 août 1944)

Le 2ème Cuirassiers est en mer…

Les étraves des lourds L.S.T. fendent sans hâte les flots paisibles et bleus de la Méditerranée.

Les capitaines commandants ont lu à leurs escadrons rassemblés, l’Ordre N° 32 du colonel.

Les mêmes mots ont retenti sur chaque bâtiment, accueillis, sur chaque bâtiment, avec la même “mission sacrée…”

“Aidez tout ce qui vous aide et vient à vous… “Détruisez tout ce qui vous résiste…”, “N’oubliez jamais que vous vous battez sur le sol français”

Les côtes africaines défilent au loin, le long des L.S.T….

Impression étrange que celle de ne plus être qu’un tout petit rouage d’une prodigieuse machine enfin mise en branle, que rien ne peut plus arrêter dans sa marche lente, mais inexorable…

Quel symbole aussi, que cette marche de tous ces innombrables convois qui ont quitté les ports d’Afrique, ceux de Corse, ceux d’Italie, convergeant tous vers un même point ! Des plis secrets viennent d’être ouverts ; ils leur ont indiqué leur objectif…

La baie de St-Tropez… Souvenirs lointains de beaux jours de vacances… Vision de petites plages ensoleillées… St-Raphaël…St-Aygulf… Fréjus Plage… Ste-Maxime… Beauvallon… Quel décor imprévu pour une action de force !

“N’oubliez jamais que vous vous battez sur le sol français…”.

Sera-t-il possible de ne pas meurtrir ces sites riants, respirant si intensément la joie de vivre ?…

Quelle lourde responsabilité !…

Quel honneur, pourtant, que de faire partie de ce “Combat Command N° 1” qui, aux ordres du général Sudre, sera le premier de l’armée française à fouler notre sol national, côte à côte avec ses frères d’armes du VIe corps d’armée américain !

Honneur unique, dont il importe de se montrer digne…

“La France entière a les yeux fixés sur vous…”

Avoir la France pour juge… Quel magnifique stimulant ! Le 2ème Cuirassiers frémit de fierté… Il est prêt… Il est sûr de lui…

Il ne décevra pas… La nuit s’étend sur les flots, s’intégrant de plus en plus dans leur surface immobile et silencieuse.

Premiers Pas sur le Chemin de la Revanche (16 août 1944)

Le rêve a pris corps. Le 2ème Cuirassiers a débarqué…
Les escadrons s’échelonnent dans les bois, en bordure de la route qui monte de Ste-Maxime, vers Plan de la Tour.
Comment s’est effectué ce débarquement ? Très simplement, très prosaïquement…
L’ennemi, complètement surpris par les vagues d’assaut d’infanterie et de génie de plage du VIe corps d’armée américain auquel le C.C.1 est rattaché, n’a réagi que très faiblement. Les L.S.T., portant les chars du 2ème Cuirassiers, ont pu déverser tranquillement leur chargement sur la plage de La Nartelle. Seuls, les canons de l’armada rassemblée dans la baie de St-Tropez, ceux du “Lorraine”, du “Georges Leygues”, de l’ “Emile Bertin” et de tant d’autres navires battant notre pavillon, fraternellement unis aux puissants bâtiments alliés, ont rompu le calme de cette magnifique nuit d’août, annihilant les dernières batteries boches.
Ce fut même trop simple, à tel point que la réalité semble n’être qu’un rêve.
Il y a pourtant ce site merveilleux de notre  Côte d’Azur, ces premières acclamations des populations libérées.
“Si vous saviez comme nous vous attendions !”
Ces mots retentissent dix, cent, mille fois. Ils frappent cependant, et émeuvent sans lasser.
A 15 heures, le 2ème Cuirassiers est prêt. Ses chars, leurs pleins d’essence terminés, poussent aussitôt de l’avant.
Ils gravissent allègrement la pente des routes en lacets des Maures. Le col de Vignon est franchi, la Garde Frenet, les Maillons, sont rapidement traversés, et, à 16 heures 30 un peloton du 4ème escadron, escadron Ardisson, fait son entrée dans Gonfaron au milieu d’une population délirante d’enthousiasme. Des coups de feu éclatent cependant quelque part, déjà loin derrière lui. Ce n’est rien ! c’est tout simplement une petite résistance boche, située dans un bois, au Nord de la route, à 3 km de là. Elle se manifeste après avoir laissé passer les premiers éléments du régiment.
Elle est rapidement cernée. L’ennemi se rend. Le 2ème Cuirassiers a ses premiers prisonniers ; un officier, dix-sept hommes.
Demain, 17 août, le 4ème escadron aura son premier combat; demain, le 2ème Cuirassiers teintera pour la première fois, de son sang, la route glorieuse qui le conduira de la Méditerranée au Rhin.
Ce sera l’opération du Luc.

Le Luc (17 août 1944)

“S’emparer du Luc et le tenir.”
Tel est, dans sa brutale simplicité, l’ordre reçu par le 2ème Cuirassiers.
L’opération sera conduite par un escadron de chars moyens (ce sera le 4ème), la compagnie Guinard, du 3ème Zouaves, une section du 88/2 génie, une batterie du 1er groupe du 68ème RAA.
Elle sera commandée par le chef d’escadrons de Laprade, commandant en second du 2ème Cuirassiers.
Il est sept heures.
Le peloton Giraud part en tête, suivi par une section de Zouaves. La route Gonfaron – Le Luc se déroule rapidement devant lui. Tout semble indiquer en effet que rien ne viendra entraver sa marche jusqu’au village, objectif de l’opération.
Là, il faudra par contre en découdre, des renseignements d’habitants signalant une forte résistance ennemie dans la région du cimetière, situé à l’entrée Sud du village.
Les chars de tête ralentissent, s’arrêtent, repartent prudemment.
Les premières maisons du Luc sont atteintes… Puis soudain, à la radio :
“Attention ! arme anti-char au coin du cimetière ! ”
Instantanément les cinq tourelles de Sherman pivotent. En même temps, deux éclairs successifs, deux détonations…
Aucun mal heureusement ! le “Valenciennes” et le “Vaucouleurs” n’ont été qu’effleurés.
La riposte est immédiate, inexorable. Le 88 allemand ne tirera plus. Ses servants gisent foudroyés.
Deux mitrailleuses de 20 sont, à leur tour, réduites au silence. Un dépôt de munitions saute…
Les prisonniers commencent à affluer.
Le nettoyage se poursuit en vue d’éliminer des tireurs isolés, dispersés sur les crêtes dominant le village et ses abords sont progressivement occupés.
L’ennemi tient cependant encore la région s’étendant à l’Est du Luc, où opère le VIe corps d’armée américain. Il s’agit de briser cette ultime résistance. Les pelotons d’Annam et Giraud lui font face.
Vers 14 heures, un éclair, une explosion, un nuage de fumée. Hélas ! Le char “Tonnerre” est touché.
Débouchant du village au milieu des vignes et des bosquets, il a été atteint par un obus de 88 ; il brûle. Les cuirassiers Millerand, Baclet et Bisbal, sont tués, le Maréchal-des-Logis Bernin, chef de Char, mortellement blessé. Seul le cuirassier Ferrand, conducteur est indemne. Il sort du char, monte sur la tourelle, sous le feu de l’ennemi, réussit à dégager le Maréchal-des-Logis Bernin, le transporte à quelques mètres.
Mais le canon boche est repéré. Le char “Tours” est chargé de venger nos morts. Au premier coup de 75, l’arme s’est tue.
Encore quelques obus et ses munitions sautent. A 18h30, toute résistance a cessé.
Le soir même, le communiqué de la B.B.C. annonce la prise du Luc.

Sur la Route de Marseille (17 – 20 août)

Les trois jours qui suivent l’opération du Luc, ces trois jours qui conduiront le 2ème Cuirassiers jusqu’aux faubourgs de Marseille, ne sont qu’une marche rapide, une irrésistible poussée en avant.
Les chars du régiment n’ont guère à s’employer : toutes les tentatives ennemies pour s’opposer au “Combat Command N° 1” sont impitoyablement brisées par leurs frères d’armes de la reconnaissance (escadron André, du 3ème R.C.A.) ou du 3ème Zouaves ; ils n’ont pas à jeter leur puissance dans la balance.
Le 17 août au soir, le 2ème Cuirassiers cantonne à Flassans. Le 18 Août, il se porte sur Le Val qu’il atteint par Cabasse, l’abbaye de Thoronet et Carces. Le 3ème Zouaves qui lui ouvre le chemin en anéantissant une résistance ennemie dans la région des mines de bauxite, au Sud du lac Otto.
Le 19 août, le gros du régiment est à Bras, pendant que le 2ème escadron entre dans Saint-Maximin.
Il continue, le même jour, à la tombée de la nuit, en direction de Meousnes, où il peut entendre les bruits de la bataille qui se livre à Toulon.
Il n’est pas question de faire du nettoyage dans cette région boisée et accidentée sous peine de perdre un temps précieux. On néglige systématiquement les petits éléments boches dispersés dans la montagne. Les convois de ravitaillement se trouvent ainsi parfois transportés en première ligne et sont obligés de combattre pour réduire les bouchons que l’ennemi dresse sur la route.
Le chef d’escadrons Quiniou, chef du service auto, est blessé au Val où le régiment a cantonné la veille en montant à l’assaut d’un piton.
Le 20 août, dès le lever du jour, le 2ème Cuirassiers fait mouvement sur Sygnes et le Camp.
Il s’en est fallu de peu qu’il ne soit fait appel à lui, mais la résistance ennemie du col de l’Ange s’effondre, une fois de plus, devant l’action foudroyante du peloton Schmitt du 3ème R.C.A.
Le mouvement reprend et le régiment atteint, à la nuit, la banlieue de Marseille.
En s’endormant près de son char, le cuirassier rêve au combat qu’il s’agira de livrer demain. Il l’envisage avec confiance, avec ferveur.
Libérer Marseille, toute proche, cette mission ne lui est-elle pas due ? Il ne veut pas penser un seul instant que le commandement pourrait l’en frustrer. D’ailleurs le 2ème escadron n’est-il pas déjà au contact sur la route d’Aubagne ?
Oui ! Demain, ce sera la journée d’Aubagne, cette journée victorieuse qui nous ouvrira la voie de notre grand port, de la deuxième ville de France.

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Le Combat d’Aubagne (21 août 1944)

Cinq jours pour atteindre les portes de Marseille dont la libération était prévue, d’après les plans du haut-commandement, pour le quarante-cinquième jour après le débarquement… Le 2ème Cuirassiers qui s’attendait à une résistance acharnée, semblable à celle rencontrée par nos alliés, les premières semaines de la bataille de Normandie, acte le premier surpris de l’allure rapide des opérations. Mais on s’habitue très vite au succès : parvenu à quelques 23 km de la grande cité phocéenne, sûr de sa force, toujours frais et dispos en dépit des longues étapes auxquelles il a fait depuis la nuit du 15 Août, le régiment considère d’ores et déjà que la ville lui appartient.
23 kilomètres… Un tramway relie Marseille à Gemenos, où le P.C. du colonel et les 3ème et 4ème escadrons ont passé la nuit…
“Vous verriez Notre-Dame de la Garde sans cette “montagne”, disent aux Cuirassiers les habitants…
23 kilomètres, c’est si peu à côté des centaines déjà parcourus !…
La situation a pourtant manifestement évolué. Le 2ème escadron est toujours stoppé devant Aubagne, sur la nationale 8 :
C’est la première fois que les Sherman se heurtent à une résistance qu’ils ne parviennent pas à surmonter… N’est-il pas normal d’ailleurs que l’ennemi défende avec acharnement un objectif de cette importance ? Parvenus au P.C. du régiment le 21 août à 7 heures, les ordres pour la journée prévoient le débordement d’Aubagne par le Nord-Est et le Nord par un groupement aux ordres du colonel comprenant les 3ème et 4ème escadrons, la compagnie Tardy du 3ème Zouaves et une batterie d’artillerie, tandis que le groupement Letang dont fait partie le 2ème escadron, continuera à pousser vers Aubagne le long de la nationale 8.
Gardant en réserve le 4ème escadron et une section de Zouaves, le colonel lance aussitôt le capitaine de Boisredon avec les pelotons Avenati et Mousnier et deux sections de Zouaves, par un petit chemin qui, partant de la nationale 96 au Nord de Gemenos, se dirige vers la partie Nord de l’objectif. Le peloton Mouty, du 3ème Escadron, a l’ordre de suivre la nationale 96 jusqu’au carrefour du Pont de l’Etoile, puis de se rabattre sur Aubagne par les Boyers.
L’opération se révèle aussitôt ardue. C’est tout d’abord le silence complet de la part du peloton Mouty que l’on sait seulement avoir dépassé le Pont de l’Etoile. Quant au détachement de Boisredon, il essuie des feux anti-chars violents dès son débouché de Gemenos. Sherman et Zouaves n’en progressent pas moins, manœuvrant avec méthode et précision.
Installé à proximité du carrefour de la nationale 96 et du chemin Marchal-Aubagne, son axe d’attaque, le capitaine de Boisredon suit pas à pas ses unités, les poussant alternativement en avant comme les pièces d’un jeu d’échecs.
La radio retentit d’ordres brefs : “Avenati, halte ! Feu sur le boqueteau à droite !”
“Mousnier, en avant ! Feu sur la croupe boisée à droite des églises !”
Des éclairs… de la fumée… la terre vole dans le lointain… Une arme anti-char a été repérée sur la colline des églises : un énorme nuage de fumée se répand tout autour de sa position. On voit parfaitement à la lunette des Sherman le mouvement des boches… Puis, faisant un large bond, les obus éclatent le long d’une lisière de bois… “Mousnier, en avant !”
Quelques centaines de mètres sont de nouveau franchis. Désormais un mouvement délicat pour les chars : une voie ferrée barre tout le terrain de combat, voie ferrée en remblai impossible à franchir en dehors du passage en-dessous dans lequel s’engage la route. Quel magnifique point de réglage pour les armes anti-chars ennemies et en particulier pour le canon de 88 déjà contrebattu à la lisière du bois qui fait face au défilé ! C’est le moment de demander aux Zouaves de précéder les Sherman qui les couvriront de toute la puissance de leurs canons…
Les Sections Loriot et Bisbal se déploient, avancent… Les silhouettes dispersées dans les champs s’amenuisent, se transforment en de tout petits points, disparaissent…
Recrudescence des tirs ennemis… Riposte brutale des Sherman, puis, progressivement, le calme, un calme relatif, certes, que ponctuent toujours des coups de canon …
Depuis combien de temps ont débouché les Zouaves ? Où en sont-ils ? On consulte ensuite le cadran de sa montre, s’étonnant du court trajet des aiguilles alors qu’on attend depuis toute une éternité…
L’infanterie est certainement sur l’objectif… D’ailleurs, il est désormais impossible de tirer sans courir le risque de l’atteindre… Allons ! C’est notre tour… Le casque du chef de char disparaît dans la tourelle. Son doigt se tend vers le poussoir du poste de T.S.F. Puis c’est le micro que sa main approche de la bouche. Un dernier coup d’œil à la lunette vers le point lointain d’où tirait le “88”, puis l’ordre au conducteur : “En avant ! A droite tout de suite après le pont ! Fonce !…” Les dés sont jetés…
Secondes interminables… Le moteur tourne à plein régime… Une petite montée… Instant critique… On passe !… On est passé !… Le deuxième char démarre à son tour… Il passe lui aussi… L’ennemi n’a pas tiré… et pour cause… Nos braves Zouaves ont trouvé à la lisière du bois la pièce intacte mais ses servants déjà foudroyés par le tir des Sherman….
L’opération se poursuit à un rythme accéléré… Une portion de route toute droite… beaucoup trop droite… La manœuvre est heureusement possible grâce au remblai de son côté gauche et à quelques maisons… Tout à coup des fantassins ennemis à droite, dans les broussailles… A la mitrailleuse !… Courtes rafales… des corps étendus…
Désormais les maisons se resserrent, se transforment en rue… une plaque mutilée… Aubagne… c’est Aubagne !…
Un petit pont… à peine le temps de songer aux mines qu’il est déjà traversé…
Les Sherman se répandent deux par deux dans la petite ville dont les cloches sonnent à toute volée…
Tandis que la radio annonce les succès du détachement de Boisredon, des nouvelles beaucoup moins favorables hélas ! parviennent au P.C. du colonel, du peloton Mouty : un char détruit, le “Paris”, des blessés et des tués dont l’adjudant-chef Mouty lui-même, disent les premiers renseignements. Puis viennent quelques précisions : on apprend comment le peloton parvenu aux Boyers a été accueilli par des tirs d’armes anti-chars dès le débouché de ce village.
Rallié par l’adjudant Bourguignon à la mort de son chef, il en tient les sorties Sud face à Aubagne et à des éléments ennemis fortement organisés au lieu dit l’Evêché.
Le colonel met aussitôt en route la section de Zouaves jusque-là en réserve, puis, un peu plus tard, le peloton de mortiers de l’état-major du régiment. Moins mauvais sont les renseignements provenant du 2ème escadron, mais, gêné par des champs de mines et de violents tirs anti-chars, il n’a presque pas progressé.
13 heures 30. Toute la partie Nord d’Aubagne est à peu près nettoyée. Dans les rues, des groupes de prisonniers que rassemblent les Zouaves ; quelques jeeps commencent à passer ; les ambulances chargent les blessés déposés à la hâte dans le hall d’un cinéma. Le peloton Mousnier qui a pénétré le premier dans l’objectif, en a déjà atteint la sortie Ouest sur la nationale 8.
Pendant ce temps le peloton Avenati a poursuivi vers la partie haute de la ville où un baroud sévère se déroule encore du côté des églises. Guidés par les F.F.I. intrépides, debout sur la plage arrière du moteur, les Sherman se sont engagés sur la route du cimetière. Une batterie qui tirait vers l’Est est prise à revers. Explosions des obus d’un camion de munitions incendié… fâcheux contre-temps qui empêche de passer !… Mais c’est déjà la perspective d’un nouveau travail : les F.F.I. signalent un P.C. boche. Les 75 entrent en action, les Zouaves bondissent… Quelques minutes et des silhouettes vertes se profilent dans l’encadrement d’une porte : ils sont 67…
16 heures, intervention du Thabor “Hubert” qui, descendu des hauteurs Nord d’Aubagne, pour prendre part au nettoyage, renfort d’autant plus apprécié que l’Allemand contre-attaque violemment. Cette action désespérée est stoppée et, vers 16 heures 30, toutes les sorties de la ville sont atteintes tant à l’Est qu’au Nord. La situation n’en demeure pas moins assez confuse aussi bien dans Aubagne elle-même, où le nettoyage se poursuivra jusqu’à la nuit, que dans ses environs immédiats. Le 2ème escadron continue ainsi à peiner sur la nationale 8.
“Je viens d’être très fortement contre-attaqué” rend compte à 16 heures 30, le capitaine Fougère
“Deux de mes chars sont sautés sur des mines”.
“Est-il vrai que vous êtes blessé ?” lui demande-t-on. ”
“Oui, mais c’est peu de chose. Ils m’ont tué par contre mon petit Wolsach…”. La blessure du cuirassier Wolsach, fidèle conducteur du capitaine Fougère, dont le visage sympathique est connu de tout le régiment se révélera heureusement moins grave qu’elle n’aura paru de prime abord. Il y a un autre blessé au 2ème escadron qui est le maréchal-des-logis Camy ; quant au 3ème escadron ; l’opération d’Aubagne lui aura coûté deux tués, l’adjudant-chef Mouty et le cuirassier Lombart et huit blessés, l’aspirant Duwez, le maréchal-des-logis Bonvillain, le brigadier-chef Trouchaud et les cuirassiers Bondurant, Treilhou, Perot, Justice et Pasquier.
Le mardi 22 août, à l’issue d’une nuit sans sommeil par suite des tirs de harcèlement de l’artillerie ennemie, les cuirassiers repassent à l’attaque. Cette fois, c’est la fin ; le dernier foyer de résistance, une pièce de 88 sous casemate au cimetière de la ville, est réduit à 11 heures. La route de Marseille s’ouvre devant le régiment.

Prise de Marseille 2e Cuirs

Dans les rues de Marseille (23 – 25 août 1944)

Dès l’après-midi du 22 août, le 2ème Cuirassiers s’engouffre dans la brèche ouverte à Aubagne. Evitant la route directe de Marseille, il suit celle du Nord, celle de Camoins. Le chemin lui est ouvert par le 4ème escadron et le bataillon Martel du 7ème R.T.A.
Toute la population de cette banlieue de Marseille est là, formant la haie à son passage.
Les traits, tirés par la fatigue, se détendent sous les acclamations enthousiastes qui suivent sans discontinuer nos chars.
Les cuirassiers sont bien payés de leurs peines ! Cette joie de la délivrance qui se lit sur tous les visages, n’est-elle pas leur œuvre ?
Les fleurs recouvrent les engins. A chaque arrêt, ils se transforment en véritable grappe humaine. Chacun veut voir de près, chacun veut toucher ces hommes forts devant qui tremble l’oppresseur honni.
La nuit tombe cependant et le régiment s’installe à La Valentine.
Le lendemain, 23 août, c’est Marseille.
A plein moteur, les chars du 4ème escadron ont dévalé le boulevard de la Madeleine. A 9 heures, ils sont, bons premiers sur la Cannebière, à l’église des Réformés.
Le 3ème escadron continue cependant le nettoyage de la banlieue. Il dégage le carrefour de Saint-Marcel, détruit plusieurs armes anti-chars.
A 15 heures, tout le régiment est dans Marseille. L’enthousiasme de la foule atteint son point culminant. Les mères tendent leurs enfants aux baisers de leurs libérateurs. Il y a bien longtemps que les fleuristes ont été dépouillés de toutes leurs fleurs… Jamais semblable communion n’a été réalisée entre un peuple et son armée.
Le boche cependant ne veut pas s’avouer vaincu. Il tient toujours de très nombreux quartiers de la ville. Il tient les forts. La Cannebière devient vite un no man’s land infranchissable sous les coups directs du Fort St-Nicolas. Des rafales de mitraillette retentissent ; des grenades éclatent sur la chaussée ; des éclats de fusants couvrent les rues.
Le 2ème Cuirassiers, rassemblé tout au long du boulevard Longchamp, ronge son frein. Seuls, deux pelotons ont été envoyés à la préfecture, à la poste, au Vieux Port. Des chars patrouillent autour de la Cannebière.
De temps en temps, l’aboiement rauque des 75 fait taire tel ou tel boche impertinent qui a osé choisir, pour se poster, une maison de cette zone dont les Sherman enchaînés ont fait leur fief.
Quelle misère, l’inaction de ces deux longs jours !
Dans la soirée du 24 Août, vient enfin l’ordre d’opérations si impatiemment attendu. La réduction du boche va commencer. Elle sera entreprise demain, méthodique, implacable. Le 2ème Cuirassiers quittera Marseille dans la nuit ; il fera le tour de la ville et y reviendra par l’Est. Demain, il s’agira d’abord de priver l’ennemi de son meilleur observatoire, de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde.
C’est ainsi que se dessina un fait d’armes que les anciens du 2ème Cuirassiers raconteront plus tard, sans jamais se lasser, à leurs bleus.

Prise de la basilique de Notre-Dame de la Garde (Vendredi 25 août 1944)

Il est 8 heures.
Le 2ème escadron, escadron Fougère, est rassemblé cours Pierre-Puget !
Que de sensations fortes depuis hier ! Cette atmosphère de guêpier du boulevard Longchamp… ce départ nocturne de Marseille à travers des rues pleines de menace… ce retour, ce matin, salué par les folles acclamations des populations de la banlieue Est…
Et maintenant il s’agit d’appuyer le bataillon Martel du 7ème R.T.A., chargé de l’enlèvement de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Un coup d’œil sur le décor de l’acte qui va se jouer. Il est affreux… rues étroites, pentes impressionnantes, tournants en épingle à cheveux… En un mot, terrain d’embuscades, terrain de corps à corps, opposant à nos Sherman des difficultés qui semblent insurmontables. Bien des atouts par contre entre les mains de l’ennemi…
Mais y a-t-il un avantage matériel qui puisse contre-balancer l’énorme supériorité de moral d’une armée déjà victorieuse ?
Et puis, dans tout l’azur du ciel d’août, la “Bonne Mère” attend. La liaison est prise avec le 7ème Tirailleurs. Le peloton Moine appuiera la progression de l’infanterie, à gauche, par la rue Breteuil. Le peloton Laporte agira à droite, en essayant de déborder l’objectif par l’Ouest. Les moteurs sont en marche, les équipages, à leurs postes.
Il est 9 heures ; on part.
Les Sherman de Laporte s’engouffrent dans le boulevard de la Corderie. Fracas de chenilles sur le macadam, puis grondement des 75 ; c’est une arme anti-char boche qui vient d’être réduite. Mais comme c’est commode de faire la guerre au milieu de toute une population qui veut suivre le déroulement du combat !
Voilà le boulevard Tellene ! C’est le moment d’obliquer à gauche pour monter vers Notre-Dame.
Malheur ! Impossible de passer ! la pente est trop forte, les tournants, trop serrés dans une rue étroite.
Que faire ? II faut se résoudre à une attaque frontale par le boulevard Gazzino, puisque tout débordement est impossible.
La radio transmet : “Demi-tour !”
C’est de nouveau le cours Pierre-Puget !
“En avant, à droite !”
Le “Jeanne d’Arc” est en tête, suivi du “Jourdan” : c’est le groupe commandé par le maréchal-des-logis-chef Loiliot.
Puis viennent le “Joffre”, char du lieutenant Laporte, le “Jean Bart”, le “Joubert”.
Monteront-ils ? Cette pente est si raide ! Le “Joubert” peine, s’arrête, recule… le conducteur n’est plus maître de son engin… fracas de vitres brisées… le char vient d’enfoncer la devanture d’un magasin. Il est immobilisé, une poulie folle rompue… Ses camarades continuent à travers un déluge de feu. Le crépitement des rafales d’armes automatiques, entremêlé de sifflements d’obus anti-chars, se répand dans les rues ; son écho retentit, se perd au loin.
Les chars avancent cependant, implacables ; leur feu puissant et précis domine celui de l’ennemi.
Le “Jeanne d’Arc” est déjà tout près de la basilique, à côté des ascenseurs ; il est soutenu.
Les lance-flammes, les bazookas, les grenades incendiaires, viennent d’entrer en jeu.
Le lieutenant Laporte s’est arrêté sur la petite place, au bout du boulevard Gazzino. Avec le “Joffre” et le “Jean Bart”, il doit faire face, aussi bien en avant, vers Notre-Dame-de-la-Garde pour aider, par son feu, le groupe Loiliot, que vers l’arrière, en direction du boulevard Tellène ; le boche est partout.
C’est le corps à corps et nous n’avons pas d’infanterie… les tirailleurs n’ont pas pu suivre… Comment exploiter ce magnifique succès, si près de l’objectif ?
Bruit de chenilles… c’est le “Duguesclin”, c’est le capitaine Fougère… il rejoint le lieutenant Laporte.
Un coup d’œil sur la situation… les tirs ennemis qui viennent de l’Ouest sont bien gênants, d’autant plus que la visibilité est très mauvaise de ce côté… Le “Duguesclin” et le “Joffre” écrasent le mur du jardin de l’évêché, se portent à droite, ils sont désormais mieux placés.
Un véritable bolide enflammé dévale soudain la colline. Il enfonce l’enceinte du jardin, déjà ouverte d’ailleurs et explose à moins de cinq mètres du “Joffre”.
C’est le “Jeanne d’Arc”.
Lance-flammes ? Grenades incendiaires ? Les deux à la fois sans doute… Peut-être aussi une arme anti-chars…
Le “Jeanne d’Arc” n’est plus qu’une épave fumante. Le maréchal-des-logis Keck, chef de char, le cuirassier Guillot, tireur et le cuirassier Clément, chargeur, viennent de tomber glorieusement au Champ d’Honneur.
Le “Jourdan” monte aussitôt prendre la place du “Jeanne d’Arc”, près de la basilique.
Brusquement, explosion… Le char saute sur une mine. Il est immobilisé ? qu’importe…
Les armes sont intactes : il peut continuer le combat. Il a fort à faire, car le boche s’acharne sur lui, veut l’achever.
Voici que le char semble en flammes… Début d’incendie seulement : la bâche et les paquetages de l’équipage, fixés par des courroies, à l’arrière de l’engin, ont pris feu ; le maréchal-des-logis-chef Loiliot bondit hors de la tourelle, se dresse sur le char, une hache à la main, tranche les attaches qui le lient au brûlot.
Le “Jourdan” est sauvé.
Les mortiers ennemis dressent maintenant un véritable barrage. La riposte des chars devient moins dense… Ils commencent à manquer de munitions.
Le capitaine Fougère a déjà prévenu le peloton Moine ; il lui a donné l’ordre de venir le rejoindre ; il l’attend.
Que faire cependant sans infanterie ? Comment nettoyer, comment occuper le terrain conquis ?
Les soutes du “Jourdan” sont vides… Son canon s’est tu…
Le maréchal-des-logis chef Loiliot bout d’impatience : être si près de l’objectif et rester inactif.
Il a renvoyé successivement tous ses hommes à son capitaine. L’infanterie arrive-t-elle ? Il veut le savoir. Il est seul à son char ; il observe ; il écoute. Le feu ennemi n’a-t-il pas l’air de se ralentir ?
Soudain, impulsion, décision héroïque… Il jaillit de sa tourelle, arrache le drapeau tricolore arboré sur le “Jourdan”, bondit vers la basilique… Un F.F.I. le suit.
Le voilà sur le terre-plein… Des boches… Ils tirent… Il est blessé, mais qu’importe !
Les couleurs de France flottent sur Notre-Dame-de-la-Garde.
L’ennemi stupéfait se rend à cet homme, à ces deux hommes.
Le jour même, le père de Fenoyl, aumônier du “Combat Command N° 1“, disait une messe d’action de grâces dans la basilique libérée.

Combats de Rue (25-28 août 1944)

Comment relater tous les combats victorieux livrés par le 2ème Cuirassiers dans les rues de Marseille. Les chars sont partout : le tonnerre de leurs canons retentit des grandes avenues aux impasses les plus reculées ; rien ne les arrête, ni les obstacles matériels, ni l’opiniâtreté de l’ennemi.
Les résistances du boche s’effondrent une à une : d’interminables colonnes de prisonniers sillonnent sans interruption la ville.
Le 25 août, alors que l’escadron Fougère conquiert Notre-Dame-de-la-Garde, l’escadron Ardisson progresse par le Prado, la rue Paradis et le boulevard Perrier. Quelques coups de 75 suffisent pour pulvériser un blockhaus, laborieusement édifié par l’ennemi, en haut de ce boulevard. Les chars poursuivent vers les hauteurs de Gratte Semelle, s’infiltrant par des ruelles étroites.
Gratte Semelle… les boches ont fait un puissant réduit de ce quartier de la ville. Toute la population civile en a été évacuée depuis de longs mois. Ils ont coulé du béton dans les flancs de la colline, construit des ouvrages, transformant ce paisible coin du Prado en un redoutable point d’appui de ce “Mur de la Méditerranée”, édifié à grands frais.
Que de travail inutile ! Tout croule devant le puissant élan du 4ème Escadron.
La capitulation d’une “Kommandantur” clôt la journée : deux cents nouveaux prisonniers se sont rendus à nos chars.
Le lendemain, 26 août, le peloton Gérard, du 4ème escadron, continue le nettoyage de Gratte Semelle.
Le reste de l’escadron s’attaque aux ouvrages de la côte.
Descendant le boulevard du Prado, les Sherman se présentent tout d’abord devant les casemates de la promenade de la Plage. L’ennemi se rend.
C’est alors la ruée vers le Roucas Blanc. Partout à la fois dans sa jeep, de la Garde au Prado, le colonel Durosoy suit les premiers chars de ses escadrons, les devance bien souvent. Il est l’âme de chaque manœuvre. Les obus éclatent autour de lui, semblent le respecter.
Le soleil du dimanche, 27 août, se lève sur le dernier acte du drame, ébauché le 26 par les chars du peloton Gérard.
Dès le lever du jour, le peloton Giraud du 4ème Escadron, appuyant le bataillon Valentin du 3ème R.T.A., entreprend l’investissement de l’ouvrage de l’Angélus, situé sur la croupe s’allongeant de Notre-Dame-de-la-Garde à l’église d’Endoume. L’opération est malaisée dans ce terrain accidenté, parsemé de petits jardins. C’est immédiatement le corps à corps, une progression prudente, lente, puis un arrêt brutal : la compagnie de St-Sauveur qui mène le combat, est clouée au sol.
Le sous-lieutenant Giraud est auprès du capitaine de St-Sauveur. Il va aussitôt tenter d’aider ses camarades tirailleurs.
Comment faire ? Voilà un escalier de 80 marches… Essayons d’y pousser les chars…
Le “Vesoul” monte… Passera-t-il ? Non ! Un tournant à angle droit… impossible de continuer… Il faut y renoncer.
L’aspirant Virot suit la manœuvre dans la jeep du capitaine Ardisson. Soudain, rafale de mitrailleuse… Finie la jeep ! Le conducteur est blessé… L’aspirant Virot se relève, commotionné, il continuera à pied.
Le “Valmy” et le “Valenciennes” ont cependant vu les départs. Ils prennent position, ils tirent.
Le capitaine de St-Sauveur lance en avant une nouvelle section. Le “Verdun” et le “Valenciennes” l’appuient. L’infanterie progresse. Il est onze heures. Les premiers prisonniers boches commencent à affluer. Les chars sont maintenant sur la croupe qui domine l’Angélus. Les 75 tirent. Leurs obus s’abattent implacablement sur les positions ennemies. Voilà pour la “Maison Verte”. Maintenant c’est le tour de la “Maison Rouge”. La “Maison de l’Autrichienne” subit le même sort. Les murs s’effondrent dans un épais nuage de fumée. Les tirailleurs avancent irrésistiblement. Ils sont sur l’objectif. Le capitaine de Saint-Sauveur, le capitaine Ardisson et le capitaine Demeunynck de l’état-major du régiment, sont là, eux aussi.
Ils pénètrent dans le jardin entourant la maison effondrée sous les coups des chars.
Partout des ouvrages en rondins, des emplacements d’armes automatiques, des tranchées… Quelle forteresse !…
Mais forteresse vaincue aussi. Témoins, ces cadavres, ces épaves d’une troupe battue : le sol est jonché de débris d’équipements, d’armes abandonnées, de grenades, de bandes de mitrailleuses.
Un Allemand surgit ; c’est un médecin auxiliaire. Il conduit les officiers présents à travers les décombres. On descend…
Vision étrange ! Tunnel de métropolitain ? Galerie de la ligne Maginot plutôt… Des lampes à pétrole projettent une lumière blafarde sur des corps allongés sur le sol. C’est le poste de secours de l’ouvrage.
Un médecin-capitaine allemand se présente. Il veut négocier l’évacuation de ses blessés. Il fait visiter le souterrain. Il montre la chambre froide où sont transportés les tués, la chambre mortuaire de l’officier supérieur de la “Kriegsmarine”, commandant du point d’appui, et de ses adjoints, tués par le tir implacable des Sherman. Notre puissance l’a vivement impressionné, brisant son moral. Notre tâche n’est cependant pas achevée : un deuxième ouvrage, semblable au premier doit encore être conquis. Opération encore plus difficile, car il faut franchir un véritable glacis pour atteindre la forteresse dont, par ailleurs, la garnison a été renforcée par les survivants de celle-ci.
Mais pourquoi ne pas essayer d’abord de convaincre le boche de cesser une résistance inutile ?
Le médecin auxiliaire allemand portera notre ultimatum.
Quelques minutes d’attente, puis une silhouette : un homme de haute stature, un visage glabre et fier où se lit toute la morgue prussienne. C’est le major Walter Fromm de la Luftwaffe.
Sa tenue est constellée de décorations. La croix de fer avec glaive, suprême distinction, orne le col de sa vareuse.
Le voici en présence du colonel Durosoy et du commandant Valentin.
“Monsieur, il faut vous rendre…”
“Quelles conditions ?”
“Sans conditions”
“Mais…”
“Rendez-vous ! Vous êtes perdus. Il faut capituler ou mourir. Nous ne faisons pas de quartier…” L’homme hésite, demande à consulter son général de division. Une heure lui est accordée. L’heure s’écoule… un quart d’heure de grâce, puis le feu est ouvert, les 75 des Sherman tonnent de nouveau. Pas longtemps, car c’est la fin. L’ennemi a compris… Il capitule.
Un dernier scrupule cependant du Major Fromm :
“Puis-je connaître à qui je me suis rendu ? Puis-je savoir si je ne me suis pas déshonoré ?”
“Rassurez-vous, Monsieur ! Vous vous êtes rendu au colonel Durosoy, confident du maréchal Lyautey et au commandant Valentin, héros de la campagne d’Italie, un des premiers Français rentrés dans Rome. Ce peloton de chars est commandé par le fils du Général Giraud.” Maintenant la garnison de l’ouvrage est rassemblée. Les bottes allemandes martèlent les pavés de la ville. De nouveaux boches sont en route sur le chemin de la captivité.
C’est ainsi que le bataillon Valentin et le peloton Giraud s’emparèrent de l’Ouvrage de l’Angélus dont les galeries ultra-modernes, situées à 30 mètres sous terre, comblées d’inépuisables réserves de vivres et de munitions, se prêtaient pourtant parfaitement à un long siège. La lutte continue cependant ailleurs : on se bat dans la ville, on se bat dans le port, on se bat dans la banlieue. Au Nord de Marseille, le peloton Mousnier du 3ème escadron appuie le groupement de Tabors Leblanc. “L’Orléans”, char du sous-lieutenant Mousnier, est en tête. Il aborde Fontrose… Une barricade obstrue la route. Le Sherman charge impétueusement… Il atteint presque l’objectif… Mais soudain, bazooka… Le sous-lieutenant Mousnier et le cuirassier Mullor, tireur, gisent, frappés à mort, dans leur tourelle transpercée…
Mais ces combats furieux ne sont que le dernier sursaut de la résistance ennemie.
En fin de journée, les forts St-Nicolas et de la Malmousque se rendent à nos Tabors.
Le lendemain, le 28 août, à 8 heures, l’ordre de cesser le feu parvient au régiment.
La bataille de Marseille est terminée.

Photo d’une cérémonie prise le 29 août 1944 avec les généraux de Lattre et de Goislard de Monsabert (entre autres)